8/3/2021

Et si la pénurie de films américains devenait permanente ? Un film d’anticipation signé Hexacom

Pendant la période de réouverture des salles françaises entre fin juin et fin octobre 2020, la relance de l’exploitation a été freinée par le manque de nouveaux films américains à l’affiche. Une situation inédite qui pourrait perdurer quelque temps après la prochaine réouverture - tant que le marché américain n’aura pas retrouvé un fonctionnement normal permettant une reprise de l’export - voire s’installer durablement, bien après la dissipation des effets de la pandémie de COVID-19 sur le secteur. Car la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer une tendance déjà amorcée avant son arrivée : le déploiement des studios hollywoodiens sur le marché du streaming. Ces derniers multiplient ainsi les sorties de films en exclusivité sur leurs propres services de vidéo à la demande, au détriment du grand écran. Un changement structurel qui, indépendamment de l’évolution de la pandémie, devrait devenir de plus en plus prégnant dans la stratégie des majors américaines et donc dans la configuration et l’économie du cinéma mondial. Et si le marché français de l’exploitation - et plus largement l’industrie cinématographique nationale - devait apprendre à vivre avec moins de films américains dans les salles ?

 

Cette perspective a de quoi effrayer, tant l’économie de l’exploitation cinématographique française repose sur les productions américaines (comme c’est d’ailleurs le cas dans la plupart des autres pays). Quelques chiffres suffisent à s’en rendre compte :chaque année, 140 nouveaux films américains sont à l’affiche des cinémas en France (moyenne annuelle sur la décennie 2010-2019). Si ces titres ne représentent qu’à peine 2% des films exploités dans l’année en moyenne sur la période considérée (et seulement un film en première exploitation sur cinq), ils captent 39% des séances, 45% des entrées et 47% des recettes*.

Imaginons maintenant que 30% des films produits aux États-Unis et exploités chaque année dans l’Hexagone (soit une quarantaine de titres par an environ) ne soient plus programmés dans les salles françaises mais diffusés uniquement dans des catalogues en ligne de contenus à la demande. Sur la base de 21 600 séances, 661 000 entrées et 4,5 M€ de recettes en moyenne par long métrage américain inédit sur la période 2010-2019, cette baisse de l’offre de titres représente près de 909 000 séances vacantes par an (soit 12% du volume moyen de séances programmées chaque année entre 2010 et 2019*), une perte de près de 28 millions d’entrées annuelles (13% de la fréquentation annuelle moyenne sur la décennie considérée*) et un manque à gagner de 189 M€ (14% des recettes annuelles moyennes sur la période 2010-2019*). Comment exploiter ce potentiel de séances disponibles pour compenser la perte d’entrées et - donc de chiffre d’affaires - due à la disparition d’une partie des œuvres américaines des grands écrans nationaux ? Comment transformer cette nouvelle donne de la distribution en nouvel équilibre pour l’exploitation ?

 

Une réponse consisterait à mieux exposer les films français en première exclusivité, chaque année plus nombreux. 331 nouveaux films français par an sont distribués en moyenne sur la période 2010-2019. Une répartition équitable des créneaux libérés par la diminution du nombre de films américains dans les salles française offrirait à chacun d’entre eux l’opportunité de bénéficier de 30% séances supplémentaires, soit près de 12 000 séances au total par titre national inédit, contre un peu plus de 9 000 actuellement (moyenne 2010-2019). Reste évidemment à savoir dans quelles proportions les recettes supplémentaires générées par une exploitation plus intense des films français permettraient de compenser l’impact économique d’une pénurie de productions américaines dans les salles. Les longs métrages hexagonaux se retrouveraient probablement avec une part de marché accrue au sein d’un marché plus petit, une situation dont l’intérêt dépendrait à la fois de la taille de la part de marché et de celle du marché en question... Un intérêt d’autant plus incertain que, dans cette hypothèse, l’offre de plus en plus étoffée et variée de nouveautés américaines sur des services à la demande toujours plus nombreux et largement distribués ne serait sans doute pas sans conséquence sur la fréquentation globale des cinémas en France et donc sur la dimension dudit marché.

Mais, à moins d’une désertion massive des salles, ce scénario devrait dans tous les cas favoriser une meilleure rentabilité des œuvres françaises, qui pourrait profiter à tous les étapes de la filière nationale - notamment la création et la production - grâce à la remontée de recettes (le financement des films français étant par ailleurs susceptible de souffrir d’un soutien moindre du CNC, du fait de la baisse du produit de la TSA). Les termes du débat récurrent sur l’abondance de films français produits chaque année se trouveraient aussi profondément modifiés par le désencombrement des écrans qui résulterait mécaniquement de l’absence de 3 films américains sur 10.

 

Évidemment, ces calculs sont purement théoriques et reposent à la fois sur un postulat arbitraire mais assumé (30% de films américains en moins nous semblait a priori une proportion crédible mais nous aurions pu opter pour 20% ou 40%) et des données moyennes qui masquent d’énormes disparités, notamment au regard de la concentration des entrées sur quelques blockbusters venus des États-Unis : en moyenne depuis dix ans, une trentaine de films américains réalisent chaque année plus d’un million d’entrées en France, totalisant à eux seuls un tiers des entrées nationales. Un réel exercice de modélisation prospective imposerait naturellement de prendre en compte cette réalité.

Mais, vous l’aurez compris, cet article n’a pas la prétention de prédire l’avenir. Il propose plus modestement de s’interroger sur la possibilité d’un nouveau paradigme pour l’exploitation française, dans la perspective - probable - d’un recul de l’offre de films américains dans les salles et d’une concurrence croissante du cinéma en streaming. À travers ce texte, nous souhaitions lancer une piste de réflexion pour ouvrir la discussion, susciter des échanges au sein de la profession, dans un but commun : préparer ensemble le futur de l’exploitation en France pour faire en sorte qu’il soit radieux, quelles que soit les nouvelles règles du jeu.

 

Par ailleurs, le poids prépondérant de la production américaine dans l’économie de l’exploitation nationale ne doit pas faire oublier que les cinémas français ne sont pas tous égaux face à l’hégémonie hollywoodienne. Si vous souhaitez en apprendre plus sur la programmation des films en salles selon leur nationalité, en fonction de la taille des établissements, de leur classement Art et Essai (classé / non classé, selon le nombre de labels, la catégorie…) ou de la population de leur unité urbaine, contactez Hexacom pour obtenir un devis sur-mesure en fonction du niveau d’analyse attendu (www.hexacom.fr/contact).

Sophie Girieud-Fontaine

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06.17.31.40.34

*Tous types de programmes confondus : long métrage, court métrage et hors film.

Crédit photo en vignette : Erik Witsoe sur Unsplash

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