29/1/2021

Succès de la SVOD et fermeture des salles de cinéma : la crise sanitaire présage-t-elle le futur du secteur audiovisuel ?

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Photo by Edwin Hooper on Unsplash

Alors que la réouverture des salles de cinéma n’est toujours pas au programme en France comme dans de nombreux autres pays, les performances affichées par Netflix, Amazon ou Disney pour 2020 témoignent à la fois de la puissance marketing de ces grandes plateformes internationales et du besoin manifeste de la population mondiale de se divertir et de se cultiver à travers les contenus audiovisuels.

La crise sanitaire a dopé la croissance des grandes plateformes de SVOD…

Source : Hexacom d’après rapports d’activité Netflix et presse

Ainsi Netflix a dépassé les 200 millions d’abonnés dans le monde, soit une progression de 22% de sa base d’abonnés en un an, un bond qui fait suite à une croissance déjà spectaculaire en 2019 (+20%). Le chiffre d’affaires du leader du marché progresse encore plus rapidement (+24% par rapport à 2019) pour frôler les 25 milliards de dollars. Mais le plus impressionnant demeure peut-être la progression de la rentabilité du géant du streaming en 2020, affichant un résultat d’exploitation en hausse de 76% sur l’année pour s’établir à 4,6 milliards de dollars, et un résultat net en croissance de 48% à 2,8 milliards de dollars [1].

La montée en puissance de son nouveau rival, Disney+, force également l’admiration. La plateforme, lancée en novembre 2019, frôlait déjà les 87 millions d’abonnés à fin 2020. A titre de comparaison, Netflix n’avait atteint ce chiffre que fin 2016, soit neuf ans après l’introduction du streaming par la société de Reed Hastings. Au lancement de Disney+, les prévisions tablaient sur un nombre d’abonnés compris entre 60 et 90 millions d’abonnés… d’ici la fin 2024 !

Le succès de la plateforme de streaming aura permis d’atténuer l’impact de la crise sanitaire sur le groupe Disney, par ailleurs fortement affecté par la fermeture des parcs d’attraction et des salles de cinéma et l’arrêt des tournages.De son côté, Amazon reste plus discret sur ses chiffres d’abonnés vidéo, mais la firme de Jeff Bezos avait confirmé en janvier dernier avoir dépassé la barre des 150 millions d’utilisateurs à son service Amazon Prime Video. Pour mémoire, l’accès au service étant inclus dans l’abonnement au service Amazon Prime, la comparaison avec ses concurrents est plus difficile à réaliser. Néanmoins, il est fort probable que la progression de la livraison à domicile au cours de l’année 2020 (au troisième trimestre 2020, le leader mondial du commerce en ligne affichait un chiffre d’affaires en hausse de 37% et un bénéfice net multiplié par trois par rapport au troisième trimestre 2019), aura également bénéficié au service de vidéo à la demande d’Amazon [2].

… et pénalisé celle des industries traditionnelles

Source : Hexacom d’après Médiamétrie

Face à ces performances, les secteurs traditionnels de l’image, que ce soit l’exploitation cinématographique ou la télévision linéaire, font nécessairement pâle figure en 2020.

Avec 65,1 millions d’entrées sur un peu plus de sept mois d’ouverture, le marché français voit la fréquentation en salles chuter de près de 70% par rapport à 2019 [3]. La chute atteint 48% si on compare les entrées à celles réalisées sur les mêmes périodes d’exploitation en 2019 [4].

Du côté de la télévision, alors que 2020 a marqué un retour en grâce du petit écran, avec une hausse de la durée d’écoute globale de la TV (intégrant le live, le différé et le replay) de 18 minutes sur l’année pour atteindre un niveau historiquement élevé à 3h58 par individu et par jour [5], les recettes publicitaires des chaînes en clair n’ont pas bénéficié de ce regain d’intérêt des téléspectateurs français. Sur les neuf premiers mois de l’année, le groupe TF1 voit ainsi son chiffre d’affaires publicitaire des Antennes reculer de 16,5% par rapport à 2019, malgré une hausse de 8,2% sur le troisième trimestre [6]. De même pour le groupe M6 dont les recettes publicitaires TV baissent de 17,3% sur les neuf premiers mois de l’année, malgré une croissance de 3,0% au troisième trimestre [7].

Il est cependant à souligner que la télévision à péage résiste mieux à la crise. Le chiffre d’affaires TV de Canal+ en France n’observe ainsi qu’une baisse de 1,6% sur les neuf premiers mois de l’année, grâce à une base d’abonnés qui se stabilise autour de 8,6 millions, et ce malgré l’arrêt des compétitions sportives sur une partie de 2020 et la perte de certains droits sportifs par le leader de la télévision payante en France [8].

La crise sanitaire n’est cependant qu’un accélérateur d’une tendance de fond, pas un déclencheur du changement

Si la pandémie actuelle explique évidemment les surperformances des uns et les sous-performances des autres, elle n’a en définitive fait qu’accentuer le phénomène de mutation des pratiques audiovisuelles à l’œuvre depuis une dizaine d’années qui se traduit en particulier par un report de la consommation TV vers celle des plateformes de streaming, essentiellement nord-américaines.

Sur les marchés audiovisuels les plus matures, comme le Royaume-Uni, ces phénomènes de transformation de la consommation se traduisent depuis quelques années par une baisse des recettes publicitaires TV et des recettes de TV à péage. Outre-Manche, la publicité TV est en baisse régulière depuis 2015 et avait déjà perdu 17% de sa valeur entre 2015 et 2019. Les recettes de la télévision à péage déclinent également après avoir atteint un point haut en 2016. En 2019, le recul s’élevait à 6,2% par rapport à 2016 [9].

Ces phénomènes ont vocation à se développer sur l’ensemble des marchés occidentaux à plus ou moins court terme. En France, les recettes publicitaires TV avaient observé une première baisse en 2019 [10], alors même que le marché avait mis une décennie pour effacer la chute liée à la crise de 2009. La télévision à péage est également sous tension, la concurrence entre les opérateurs télécoms d’une part et celle des acteurs de l’Internet d’autre part, ayant contribué à maintenir des prix bas voire à conduire à une baisse des tarifs pour le consommateur. Le fait de passer d’un abonnement TV à un abonnement Internet à la chaîne Canal+ permet ainsi aux abonnés d’économiser 5 € par mois pour accéder aux mêmes programmes de la chaîne premium (hors promotion). Le développement d’offres bundlées se traduit également pour les abonnés par de substantielles économies : actuellement l’abonnement groupé Canal+, Disney+ et Netflix est proposé à 25 € par mois pendant 12 mois, soit le même prix que la chaîne Canal+ commercialisée seule dans le cadre d’un engagement de 12 mois [11]. Pour mémoire, le coût d’un abonnement à Canal+ était de 35 € par mois en 2011 et de 40 € en 2015.

La SVOD, un concurrent naturel de la télévision…

Source : CNC – Bilan 2019

L’impact a jusqu’à présent semblé plus marginal sur les entrées en salles, comme en témoignent la bonne tenue des marchés ces dix dernières années et notamment les excellents résultats enregistrés en 2019 dans de nombreux pays européens, dont la France.

Il est vrai que le succès des services de vidéo à la demande par abonnement est avant tout porté par les séries bien plus que par les films. Ainsi, les séries représentaient 61% des titres consommés sur les plateformes de SVOD en France en décembre 2020 alors qu’elles ne comptaient que pour 19% dans l’offre de ces plateformes. Inversement, les films représentaient 31% des titres consommés à la même date pour 55% de l’offre [12].

Aussi les services de SVOD apparaissent bien plus directement concurrents des chaînes de TV que des salles de cinéma, la motivation première d’abonnement étant objectivement plus directement liée à la consommation de séries que de films.

… mais qui pourrait devenir celui des salles

Il est néanmoins légitime de s’interroger sur l’impact éventuel que la crise actuelle pourrait avoir sur le secteur et, au-delà de cette crise, de se demander si les changements structurels dans la consommation audiovisuelle pourraient à terme affecter la salle.

En effet, à défaut de pouvoir se rendre dans les salles, les spectateurs auront largement eu l’occasion pendant l’année 2020 et sans doute encore pendant les prochaines semaines, voire mois, de tester les nombreuses offres de SVOD disponibles sur le marché. Les bonnes performances de ces services en 2020 montrent d’ailleurs que les périodes de déconfinement ne se sont pas accompagnées de résiliations massives à ces offres – pourtant accessibles sans engagement – ce qui semble témoigner d’un intérêt réel des spectateurs pour ces offres.

On peut alors se demander si cela ne va pas jouer un rôle dans l’évolution des pratiques audiovisuelles. Le risque apparaît réel, face à l’ampleur pris par les services de SVOD à travers le monde, de voir le public se détourner du visionnage des films au profit des séries dont la qualité n’est désormais plus contestable. Or, c’est une évidence, le temps disponible pour les loisirs n’est pas extensible à l’infini. Le temps passé sur Netflix ou Disney+ est nécessairement pris sur d’autres activités, dont aujourd’hui la lecture, la télévision [13] ou le sommeil [14], mais demain peut-être la fréquentation des salles. Surtout si le public aura profité des confinements successifs pour s’équiper à domicile et regarder confortablement ces contenus hautement addictifs.

La dynamique encourageante constatée en octobre en France…

Heureusement, si l’année 2020 aura été catastrophique pour le cinéma dans son ensemble à l’échelle mondiale, pour les raisons que l’on sait, elle aura aussi apporté quelques notes d’espoir pour les exploitants de salles et l’industrie cinématographique. Si l’on ne peut pas parler d’une ruée dans les salles de cinéma entre juin et octobre, les risques pris par les distributeurs pour sortir des films inédits, notamment français, ont progressivement conduit les spectateurs français à reprendre le chemin des salles de cinéma, la dernière semaine d’ouverture ayant permis d’attirer 3 millions de spectateurs, soit le plus haut score depuis la réouverture des salles en juin et ce malgré le couvre-feu instauré dans certaines parties du territoire.

Malgré cette note d’optimisme, il convient néanmoins de rester prudent. Plus les salles resteront fermées longtemps, plus l’embouteillage pour la sortie des films déjà produits sera important, plus le financement de nouvelles productions sera difficile, et plus les habitudes de consommation sur les plateformes de SVOD se développeront.

… ne doit pas masquer l’évolution structurelle des comportements du jeune public

Photo by Alexandre Debiève on Unsplash

Mais le plus inquiétant demeure peut-être le comportement du jeune public. Selon le baromètre de la SVOD réalisé en janvier 2019, 63% des SVODistes auraient entre 15 et 34 ans [15]. Or si ce public privilégie aujourd’hui la SVOD au détriment de la télévision, qu’en sera-t-il demain de leur appétence pour le grand écran et de la capacité des salles à renouveler leur public ? D’autant plus qu’une baisse tendancielle de fréquentation des salles obscures semble également s’amorcer chez les adolescents sur la période récente. Alors que les 15-19 ans représentaient 10% à 11% des entrées en 2016 et 2017, cette proportion a diminué autour de 6% à 8% en 2018 et 2019 (8,4% en 2019). Parallèlement, le nombre moyen d’entrées annuelles par personne dans cette tranche d’âge est passé de 6-7 en 2016 et 2017 à 4-5 en 2018 et 2019 (5,1 en 2019).

En matière de prévisions, le pire n’étant jamais certain, il convient néanmoins de l’envisager pour mieux s’en prémunir. Si les salles de cinéma ne pourront pas lutter contre le développement des services de SVOD, elles devront apprendre à composer avec, tout comme elles l’ont fait avec les chaînes de télévision, en clair puis à péage, et avec les vidéogrammes, VHS puis DVD, il y a quelques décennies.

Les salles ne disparaîtront certainement pas demain, mais elles devront continuer de se réinventer pour s’adapter à cette nouvelle donne et s’imposer comme un lieu de découverte, de partage et de convivialité. Nul doute que les spectateurs auront à cœur, quand un retour à une vie normale sera possible, de sortir et de partager en salle ces merveilleux moments d’émotion que procure le cinéma. Mais au-delà de l’engouement des premiers mois, les salles devront trouver le moyen de prolonger le lien avec les spectateurs et de renforcer la dimension unique de l’expérience qu’elles proposent, bien différente de celle des plateformes de streaming.

La nécessité de développer des actions auprès des jeunes pour fidéliser le socle du public de demain

Ces derniers mois fourmillent d’exemples de salles qui ont multiplié les actions pour maintenir un lien avec leur public malgré leur fermeture, à l’image du Lux à Caen [16] ou des nombreux cinémas de proximité qui, à travers le service de La Toile ont continué de proposer une programmation à leur clientèle, preuve s’il en est, de leur créativité et de leur volonté de continuer de remplir leur rôle. Un effort tout particulier sera sans doute nécessaire pour capter et fidéliser le public le plus jeune, qui sera le cœur du public de demain.

Pour cela, les dispositifs d’éducation à l’image auront un rôle important à jouer dans cet environnement, de même que les différentes initiatives prises par les cinémas de proximité pour se rapprocher du jeune public, leur faire découvrir et apprécier l’univers du cinéma, mais aussi pour mieux comprendre leur approche des images et adapter les pratiques et la programmation des salles aux goûts des plus jeunes.

Citons à ce sujet le projet européen CineHub GenZ, porté et mis en œuvre par Le Gyptis (La Friche Belle de Mai) à Marseille, le Kinograph à Bruxelles et Oxville à Amsterdam – et accompagné par Hexacom – qui vise à proposer à trois groupes de jeunes âgés de 8 à 24 ans une expérience innovante du cinéma et à partager les enseignements et bonnes pratiques tirées de ce projet de 18 mois avec la communauté des professionnels [17].

Selon une enquête réalisée par l’ACAP Pôle régional Image entre octobre 2019 et février 2020 auprès des 11-18 ans dans les Hauts-de-France [18],44% des jeunes vont au cinéma au moins une fois par mois et 68% aimeraient y aller plus souvent. Tous les espoirs restent donc permis !

Ce qu’il faut retenir :

1/ Les plateformes internationales de streaming sortent renforcées de la crise sanitaire, tandis que les recettes publicitaires des chaînes de TV sont en berne et les entrées en salle s’effondrent.

2/ La crise sanitaire n’explique cependant pas tout dans les mauvaises performances de la télévision qui perd du terrain depuis plusieurs années face à la SVOD (durée d’écoute en baisse, recettes publicitaires et d’abonnement en recul) ; la crise n’a fait qu’accélérer une évolution structurelle.

3/ Moins directement en concurrence – le public se tournant vers la SVOD pour les séries plus que pour les films – les salles ont jusqu’à présent été épargnées par la mutation des pratiques audiovisuelles.

4/ La généralisation de la consommation des plateformes de SVOD pourrait cependant conduire à une modification des pratiques cinématographiques. Notamment le jeune public, principal utilisateur de la SVOD, pourrait à terme arbitrer entre le temps passé en salle et celui passé devant les services de streaming en faveur de ce dernier.

5/ Dans ce contexte, les politiques d’éducation à l’image et les initiatives des salles pour entretenir le lien avec le public de proximité sont capitales pour donner envie au jeune public de bénéficier de l’expérience unique que procure le cinéma.

Florence Le Borgne

f.leborgne@hexacom.fr

06.74.59.36.31

[1] Source : Netflix

[2] Source : Amazon

[3] Source : CNC

[4] Source : Box Office

[5] Source : Médiamétrie

[6] Source : Groupe TF1

[7] Source : Groupe M6

[8] Source : Vivendi

[9] Source : OFCOM

[10] Source : IREP

[11] Source : Canal+

[12] Source : Médiamétrie

[13] En France, la durée d’écoute globale de la télévision a diminué de 11 minutes en moyenne sur l’ensemble de la population entre 2014 et 2019, avec de fortes disparités selon les tranches d’âge. La baisse atteint ainsi 30 minutes sur les 4-14 ans et 43 minutes sur les 15-34 ans.

[14] « Quand vous regardez une série sur Netflix et que vous en devenez accro, vous veillez tard le soir. À la marge, nous sommes en concurrence avec le sommeil. Et ça fait donc beaucoup de temps. », Reed Hastings, PDG de Netflix, Avril 2017

[15] Source : BFM TV d’après le Baromètre de la SVOD d’Harris Interactive et NPA Conseil

[16] Cf. par exemple la préparation d’un film sur les spectateurs du LUX à Caen

[17] Cf. https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/news/cinemas-innovation-hubs-eu-empowers-cinemas-innovate-local-communities

[18] Source : Enquête Les jeunes et les écrans, ACAP Pôle régional Image

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